Source : Des voyages pour motiver les employés, Leïla Jolin-Dahel, Cahier spécial Tourisme d’affaires, Le Devoir, 12 octobre 2024

Alors que la démocratisation du télétravail depuis la pandémie a entraîné un sentiment de détachement chez certains employés, les voyages d’affaires peuvent avoir des effets positifs auprès de ces derniers, selon une étude publiée par Amex GBT et Harvard Business Review. Ces escapades permettraient notamment de raviver leur sentiment d’appartenance envers leur employeur.
Le rapport, publié en décembre dernier, a conclu que les voyages d’affaires peuvent avoir un impact positif sur les travailleurs qui se sentent détachés de leurs obligations professionnelles en raison du télétravail.
Afin de raviver le sentiment d’appartenance de leur troupe, de plus en plus de dirigeants organisent de telles escapades pour leur personnel, constate Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat et professeur au département de marketing de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Il y a des équipes qui sont entièrement virtuelles et qui se côtoient de moins en moins. Le voyage d’affaires devient alors une occasion de tisser des liens et de souder le groupe », observe-t-il. Il a d’ailleurs dirigé une étude qui conclut que 69 % des télétravailleurs estiment que le voyage joue un rôle important dans la santé mentale.
Si les lacs-à-l’épaule ne datent pas d’hier, les déplacements professionnels destinés à motiver les équipes sont en revanche un phénomène relativement nouveau, ajoute M. Vachon. « On voit des rencontres hors du bureau pour des entreprises qui n’ont plus de pied-à-terre ou qui ont des employés dispersés sur le territoire. Ça devient des solutions intéressantes pour recréer le tissu organisationnel », constate-t-il.
Ariane Ollier Malaterre est professeure de management à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la régulation du digital dans la vie professionnelle et personnelle. Elle éprouve de son côté certaines réserves sur les résultats de l’étude financée par Amex GBT. « C’est à prendre avec des pincettes, parce qu’il y a probablement un objectif là-dessous. Je ne suis pas persuadée de l’efficacité de ces voyages d’affaires. Et je dirais qu’il faut qu’ils soient limités », précise-t-elle.
Des bienfaits, mais pas seulement
Ces voyages d’affaires ont pour effet de valoriser la marque de l’employeur, croit M. Vachon. « Les organisations ont avantage, de nos jours, à montrer une flexibilité par rapport à la mobilité des ressources humaines », dit-il. Il cite en exemple les autorisations accordées aux voyageurs d’affaires de prolonger leur séjour afin d’y ajouter une part d’agrément. « Cela permet une meilleure acceptabilité des déplacements d’affaires qui, [de manière générale], engendrent davantage de résistance qu’auparavant », observe-t-il.
Cette flexibilité permet aussi aux salariés de développer leur sentiment d’appartenance à une entreprise. « Si je trouve un emploi similaire ailleurs, y aura-t-il cette même ouverture ? »
Mais le principal risque demeure celui de la rentabilité, croit le chercheur. « Les coûts ont beaucoup augmenté et plusieurs activités virtuelles sont devenues profitables. Le défi reste de rentabiliser le déplacement. Souvent, c’est difficile à évaluer de façon tangible », dit-il.
De son côté, Mme Ollier Malaterre estime que les voyages d’affaireset leur préparation pèsent sur la charge de travail. « On accumule du retard sur le cours normal des choses quand on est, par exemple, dans un séminaire. Ça augmente donc la charge de travail et crée de la fatigue », précise-t-elle, ajoutant l’impact de l’empreinte carbone des déplacements sur l’environnement et les changements climatiques.
Si un patron tient tout de même à organiser ce type de voyages de façon limitée, il doit mettre l’accent sur les relations humaines, croit la professeure. « Il ne faut pas faire venir les employés pour leur demander de passer des appels sur Zoom devant un écran, ou entendre une allocution d’un dirigeant à laquelle ils vont assister de manière passive sans interagir avec leurs collègues », illustre-t-elle. Elle souligne que ce sont les discussions informelles qui permettent de créer un sentiment d’appartenance chez les salariés.
Ressouder les équipes au bureau
Au coeur de la pandémie en 2021, 35 % des Canadiens ont affirmé ne pas avoir de sentiment d’appartenance au travail, alors qu’ils étaient un sur quatre à le faire avant la crise sanitaire, selon une enquête de Solutions Mieux-être LifeWorks. « Essayer de recréer une affiliation des travailleurs envers leur milieu professionnel est un défi pour les employeurs », souligne Ariane Ollier Malaterre.
Elle concède qu’il peut être tentant pour certains dirigeants de recourir à des séminaires ou à d’autres types de voyages d’affaires pour souder les troupes. Mais elle estime qu’il est aussi tout à fait possible de le faire au bureau. « Si vous demandez à tout le monde de venir un jour spécifique, il faut que vous ayez prévu quelque chose, sinon ça ne va pas porter fruit », précise-t-elle.
Aux équipes entièrement déployées en télétravail, elle suggère de mettre en place des cafés-rencontres virtuels où la discussion informelle entre collègues est encouragée. « Ça se faisait beaucoup pendant la pandémie, et ça fonctionne très bien. »