Source: Durabilité dans le voyage d’affaires : bonne volonté, initiatives et attentes déçues, David Keller, Déplacements Pros, 7 novembre 2023

Des appels d’offres « concernés », un enjeu budgétaire irritant, et des fournisseurs attendus mais pas toujours au rendez-vous, tels sont les principaux enseignements d’une table ronde « durabilité » organisée par l’AFTM au dernier salon Top Resa.
“Décarbonation et déplacements, un avenir est-il encore possible ?”, c’était le thème d’une des tables rondes proposées par l’AFTM lors du dernier salon Top Resa. Isabelle Chauveau (EDF) et Sandrine Cormier (Pôle Emploi) côté clients; Laurent La Rocca (du SBT The Treep), Salomé Mogier (du HBT HCorpo) et Julie Morel (Appartcity), côté fournisseurs, y apportaient leur témoignage.
Dans les appels d’offres, les questions “durabilité” sont la règle
Oui, la prise en compte sérieuse de la durabilité dans le voyage d’affaires est récente. Et oui, elle est réelle. Du moins dans les appels d’offres (AO)… “Ce qui est fait après, c’est une autre question”, précisera Julie Morel.
Tout en reconnaissant la généralisation des questions “durabilité”, les fournisseurs présents s’accorderont à distinguer les clients issus du public des autres. Les premiers faisant figure de meilleurs élèves en la matière.
Isabelle Chauveau et Sandrine Cormier confirment que leurs questions s’inscrivent dans une stratégie plus large, bien éloignées des soucis cosmétiques qu’on peut parfois constater dans le privé. La première : “Chez EDF, les AO incluent nécessairement des critères environnementaux sur l’ensemble des achats. Pour ce faire, des groupes de travail ont été créés pour travailler sur le cycle de vie du service ou d’un produit de chacun des grands secteurs d’activité et une batterie de critères a été déployée”.
La seconde : “Chez Pôle Emploi, on travaille sur notre empreinte carbone depuis 2011, il est donc naturel que les déplacements, qui sont les plus gros émetteurs pour une entreprise du tertiaire, soient interrogés. On le fait en différenciant voyages professionnels, commuting, déplacements de nos visiteurs; et pour chacune de ces catégories, on a un plan d’action.” Le caractère pionnier de la stratégie de Pôle Emploi en la matière n’est pas une garantie de succès, comme on le verra plus loin.
La RSE toujours soumise à la finance ?
“Des clients disent qu’ils sont coincés entre la direction RSE et la direction financière”, souligne Julie Morel, sous-entendant le caractère inconciliable de certaines injonctions.
Même si parfois les enjeux financiers et environnementaux peuvent s’aligner – dans le cas de la réduction du volume de voyages, notamment en rallongeant les séjours, le discours des équipes “business” n’incite généralement pas à la sobriété : “Elles considèrent le déplacement non pas comme un coût mais comme un investissement pour que l’entreprise continue à se développer”.
Et quand le contexte est à la hausse des tarifs, l’enjeu budgétaire s’éloigne encore un peu plus du critère RSE. C’est vrai pour un transport qui sera choisi en fonction de son prix et non de ses émissions, c’est vrai aussi, parfois d’une façon plus perverse, pour l’hébergement : “Avec l’augmentation des prix hôteliers, le budget plafond d’une nuitée implique parfois une baisse de gamme. Mais se pose alors la question du bien-être des voyageurs”, explique Salomé Mogier.
Pour que l’arbitrage entre contrôle de la dépense et ambition écologique soit plus clair dans ses règles, il faut une stratégie qui s’incarne et se matérialise dans l’organigramme, et donc la prise de décision, dit en substance Sandrine Cormier : “Oui, les coûts sont un critère important, surtout pour une entreprise publique mais il faut se poser la question de la stratégie de l’entreprise. Par exemple, chez Pôle Emploi, depuis 2019, répondre à l’urgence climatique fait partie de la stratégie. Donc elle a un poids : dans le plan de sobriété de l’Etat, nos deux sponsors au sein de notre direction générale sont d’un côté notre direction des affaires financières et de l’autre notre direction de la stratégie et des affaires institutionnelles, qui a la RSE dans son portefeuille”.
“Si ce n’est que du descendant, peut être que le distanciel suffit”
“Clairement, on réduit nos voyages .. Quand on ouvre notre outil de resa, la premier message qui s’affiche c’est : “êtes vous vraiment obligé de voyager ?” Par exemple, les formations (en dehors de celles adressées à nos techniciens) se font forcément à distance. La bascule de l’aérien vers le train se fait désormais à 3h30 de trajet, avec une classe éco (quand il y a avion) ou une seconde classe préconisée”, explique Isabelle Chauveau.
Comme chez EDF, Pôle Emploi a actionné la pédale de frein en termes de déplacements. Sandrine Cormier précise : “Concernant nos implantations outre-mer, on alterne réunions en présentiel et en distanciel. En vertu d’une note nationale, on hiérarchise nos modes de transports avec une bascule avion/train de 4 heures”. Mais au-delà des règles et des normes, le changement tient à une nouvelle façon d’envisager l’essentialité du voyage : “se poser la question du contenu de la réunion avant d’aller à tous à Marseille ! Si ce n’est que du descendant, peut être que le distanciel suffit…”
8000 demandes, 48 réponses
On le disait plus haut, Pôle Emploi a été pionnier en matière d’actions sur le terrain environnemental, ce qui ne garantit pas leur succès, comme l’explique Sandrine Cormier : “Entre 2011 et 2020, nous avons réduit nos émissions de 20%. C’était insuffisant.”
A la suite de ce constat, Pôle Emploi va structurer sa démarche et faire appel à l’outil (co-conçu) “Stay or Go” de The Treep, basé sur la mesure de l’essentialité d’un déplacement. Laurent La Rocca, CEO de cet SBT rappelle que “d’après un sondage Opinionway, 24% des voyageurs considèrent leurs déplacements “pas ou peu utiles” : les économies potentielles sont colossales.”
Dans ce cas, on voit le rôle moteur que les entreprises attendent des fournisseurs. Ces derniers ne sont pourtant pas toujours à la hauteur comme l’illustre, de façon édifiante, ce témoignage d’Isabelle Cormier : “En 2021-2022, EDF a envoyé un questionnaire conçu avec l’AFNOR sur la RSE à ses fournisseurs de voyage. Tous les acteurs de la mobilité ont répondu mais sur 8000 hôtels, après 6 mois de relance, on n’a reçu que 48 réponses exploitables”.
Il est vrai que l’hébergement (qui représente “10% des émissions d’un déplacement”, comme le rappelle Laurent La Rocca) est certainement le domaine du voyage dont l’impact est le plus difficile à mesurer ou, du moins, à labelliser de façon standardisée, tant les facteurs à prendre en compte sont fins et nombreux. Et quand ces fournisseurs font appel à ces autres fournisseurs que sont les OBT, comme HCorpo le fait pour agréger et faire apparaître des labels “green”, Salomé Mogier regrette : “On a toujours l’impression d’être leur sujet n°2… derrière NDC, par exemple.” Tiens, ça faisait longtemps…