Source: L’hôtellerie amorce un virage vert, Leïla Jolin-Dahel, Le Devoir, 24 février 2024
Ce texte fait partie du cahier spécial Tourisme d’affaires
Alors qu’un virage vers le développement durable est nécessaire dans toutes les industries, celles de l’hôtellerie et du tourisme d’affaires commencent à peine à mettre sur pied des initiatives afin de le favoriser. Tour d’horizon.
Les initiatives durables en tourisme n’en sont toujours qu’à leurs balbutiements, croit Jean-Sébastien Boudreault, président-directeur général de l’Association hôtelière du Grand Montréal (AHGM). « Il n’y a encore rien de bien implanté. Les gens commencent à se rendre compte qu’il faut changer nos habitudes », dit-il.
Il note toutefois un changement depuis la pandémie, particulièrement quant aux voyages d’affaires, lesquels sont plus souvent remplacés par des rencontres virtuelles. « Avant, on avait une vingtaine de vols quotidiens entre Montréal et Toronto. Il y avait énormément de touristes d’affaires qui allaient d’une ville à l’autre pour des rendez-vous d’une journée, voire d’une demi-journée », se souvient-il. Or la crise sanitaire a entraîné, « pour le mieux », une évolution dans les comportements pour faire davantage de place aux rencontres virtuelles. « On s’entend que, pour venir faire une réunion de trois heures à Montréal et repartir dans la même journée, l’empreinte écologique est gigantesque. Et ce n’est pas quelque chose qu’on a nécessairement besoin de faire », souligne-t-il.
Des demandes grandissantes
Les entreprises envoyant leurs employés en congrès ou en voyage d’affaires sont de plus en plus nombreuses à avoir des attentes en matière de tourisme durable, observe M. Boudreault. Toutefois, pour que les firmes effectuent un virage durable, il est nécessaire de ne pas simplement s’attarder à la question des changements climatiques, croit le p.-d.g. de l’AHGM.
« Le développement durable, ce n’est pas juste l’écoresponsabilité, c’est aussi tout ce qui est sociétal, économique », dit-il. Il observe cependant une transformation notamment dans la gouvernance des entreprises, le recrutement et le maintien du personnel.
M. Boudreault estime en outre que l’angle économique ne doit pas être écarté. « Parce que tant que nos vies vont être basées sur l’argent, pour que ce soit durable, il faut qu’on établisse des mesures pérennes, soulève-t-il. Des choses qui, oui, vont coûter de l’argent, mais où les entreprises vont également pouvoir faire des bénéfices. Sinon, elles ne les mettront pas en place. »
Un projet pilote vert
En janvier dernier, l’AHGM a annoncé le lancement d’un projet pilote en vue d’amorcer le virage vert de l’industrie hôtelière. Huit établissements y participent : l’hôtel Marriott Château Champlain, l’hôtel Saint-Sulpice, l’hôtel Monville, l’hôtel 10, l’hôtel ZERO1, l’hôtel Ruby Foo’s, le Manoir d’Youville et l’hôtel DoubleTree par Hilton centre-ville. « C’est une première en Amérique du Nord pour avoir une industrie qui décide de se prendre en main », indique le p.-d.g. de l’AHGM. Les pratiques des huit établissements participants seront évaluées en se basant sur les 17 objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations unies (ONU).
M. Boudreault souligne que le développement durable n’est pas nécessaire qu’à cause des changements climatiques. « Lorsque je regarde des villes comme Barcelone, Amsterdam ou Venise, où les habitants ne veulent plus de touristes, il y a un problème », dit-il. Selon lui, l’hôtellerie est « la colonne vertébrale du tourisme », et il rappelle que celui-ci englobe le tourisme d’affaires. « Quand les grandes entreprises font venir des clients étrangers, ces gens restent dans des hôtels. On est très interreliés », souligne-t-il.
Et si le risque d’écoblanchiment plane néanmoins sur la volonté des entreprises à devenir plus vertes, M. Boudreault estime qu’il est important d’essayer de nouvelles initiatives, quitte à se tromper. « Il y a toujours un défi d’écoblanchiment. C’est sûr que c’est quelque chose qui nous guette. Mais qu’est-ce qu’on fait ? » dit-il.
Dans le cadre du projet pilote à l’AHGM, un comité d’experts de divers horizons a été créé afin d’avoir une vue d’ensemble et d’éviter de commettre certaines erreurs. « Il y a un hôtelier, des gens de l’UQAM, du Palais des congrès, de l’aéroport de Montréal, de Tourisme Montréal, des spécialistes en développement durable qui vont nous mettre au défi. Et on ne doit pas avoir peur d’avancer en se disant “je ne ferai rien parce que je ne veux pas faire de l’écoblanchiment”, conseille-t-il. Il faut commencer par être conscient que ça peut arriver. Après ça, il s’agit d’essayer le plus possible d’éviter des pièges et de ne pas faire ça seul. »
Des investissements nécessaires
Au Québec et ailleurs au Canada, les gouvernements ont déjà mis sur pied des initiatives destinées au développement du tourisme durable. Le ministère québécois du Tourisme a d’ailleurs élaboré un Plan d’action pour un tourisme responsable et durable jusqu’en 2025. Sur la scène fédérale, le gouvernement a annoncé en novembre dernier son nouveau programme pour la croissance du tourisme. Un financement total de 108 millions de dollars pour divers projets d’expansion appuiera le tourisme durable.
« C’est sûr que, le nerf de la guerre, c’est l’argent. Ce n’est même plus une option, investir en développement durable, il faut le faire », souligne M. Boudreault. Il souhaite ainsi mettre davantage d’acteurs en commun dans le but de se fixer des objectifs. Il aspire à obtenir des résultats concrets au terme de son projet pilote d’une durée de trois ans. « On doit choisir les bons gestes afin qu’ils aient de vrais impacts. On espère qu’on aura quelque chose d’assez solide pour que d’autres embarquent avec nous, pour qu’on commence à faire une différence significative et qu’on inspire d’autres gens à participer à la transformation. »